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Passer le pont

Texte de Gwenola Breton, lu par Jeanne Videau

Dans le cadre d'une soirée lecture & dégustations L’amour ou pas

Vendredi 24 Mai 2019 à 19h30 / Chez Soie/ à Crest

Durée de la lecture : 20 min

 

Jeanne Videau est comédienne, formée au Théâtre- Ecole du Passage (Direction Niels Arestrup). A travers son parcours, elle explore des registres de jeux différents (théâtre, marionnette, conte, chant, accordéon...). Entre autres collaborations, elle travaille plus régulièrement depuis 10 ans avec Frédéric Naud ; Marie Charlotte Biais avec qui elle fonde la Cie La controverse. Elle défend et interroge des sujets qui lui tiennent à cœur par le biais de la poésie avec Sébastien Bouhana.

Passer le pont parle du lien que tissent les êtres entre eux, une enfant et sa mère, une femme et son compagnon. Les espaces qui viennent se mettre en eux et entre eux.

Extraits :

Elle se penche au creux de son oreille et se dit à elle-même :

Auras-tu les bras assez grands pour accueillir mon désespoir au moins ? Puisque tu ne peux m’aimer, il faudra bien que tu m’en consoles.

 

Premier pont :

Elle - Elle dit, Je suis contente tu vois, je me suis remise à fumer le cigare.

elle pense, ma mère est une catin, une paumée. Elle va périr dans les fourrés, je ne la retrouverai jamais ! Elle va se dépecer. Elle va se défaire. Elle ne saura jamais que c’est - Elle. Qui l’a fait.

(...)

Deuxième pont :

Elle dit, - Lui, c’est le temps. Le temps qui lui manque. Le manque de temps pour aimer. Il a besoin de temps pour aimer. Il finira par m’aimer c’est une question de temps. Même s’il n’a pas beaucoup de temps, je serai patiente. Il aime prendre son temps - et le mien...

Lui il se fout du temps qu’il fait, Il sort.

Elle elle regarde dehors, pour passer le temps. Elle trouve que le temps s’est rafraichi. Elle reste.

Lui il constate Ah...! Tu fais comme ça toi....? Nous sommes vraiment différents.

Lui il dit encore Comment veux-tu que je t’aime.
Alors elle, toute la journée, elle fait des suppositions entre la forme exclamative et interrogative.

Lui, il exulte : Moi aussi ! J’efface le prix du livre sur la première page. On se ressemble finalement...Lui, il aime lire, avec elle à ses côtés - et ses petites affaires.

Lui il dit, je suis comme tout le monde, ne me prends pas pour plus que cela.
Et il a raison.

Elle, elle écrit son prénom dans l’agenda de Joseph - Juliette - à la page du Jeudi 12 septembre, à 21h. Sinon, elle a peur qu’il l’oublie.

(...)

Elle, elle lui trouve quelque chose de touchant. Elle le regarde dormir, prendre sa douche, s’habiller, partir, revenir. Elle le regarde tout le temps. Elle voudrait se coller à sa main qui écrit. Elle voudrait être ce qu’il désire. Elle elle aime son corps tout entier, ses cheveux de jais, ses mains et ses pieds de terre, son dos de poisson, elle le veut entièrement. Elle sait qu’elle le veut. Lui il ne veut rien de spécial, il dit. Et ça dure. Et puis un jour, il parle d’enfant. De lui. Dans elle. Mais elle elle dit qu’elle veut d’abord être dans lui et lui dans elle. Lui il se fait à tout.

 

Avant, avec un autre – elle - et un autre, étaient les fiancés du soir. Lui, il disait, nous rentrons dans la légende des amants. Et Ils sont partis et ça a duré longtemps et ils voulaient que ça dure tout le temps. Aujourd’hui avec lui, ils sont l’amour de sa vie, à lui. Parce qu’elle est douce au fond, elle est aimante au fond. Il l’aime parce qu’elle l’aime aussi et puis parce qu’il faut bien finir par aimer ceux qui vous entourent, ceux qui sont là à la fin. Elle elle dit, Aime-moi. Mais elle sait qu’elle est perdue lorsqu’elle a fini de dire cette phrase. Lui il va s’enfermer dans son bureau ; Il expire et il pense : c’est compliqué...

(..)

Elle elle n’aime pas attendre, Personne n’aime attendre.
Lui, il ne sait pas quoi dire, devant tout ce qu’elle dit qu’il dit.

Il n’a pas besoin d’avis, il dit, il avance. Il ne réclame jamais rien.

(..)

Un jour elle met des pâquerettes sur toutes les ouvertures de sa maison, elle le fleurit. Lui il dit Salut miss pâquerette et il construit cet amour sur une tombe.

(..)

Elle dit, je suis toujours en voyage, parfois pourtant je m’ennuie, lorsque je cesse de rêver, légèrement. Lui il s’habille debout, mange en laissant sa montre alignée comme une règle sur le côté droit de la table, franchit la porte en courant, revient en courant parce qu 'il a oublié un document sur la table de son bureau, et parfois le soir, c’est le bon moment, il est heureux de la retrouver.

Lui il dit : La vie est mouvement. Tout change.

Et il reprends ses petites habitudes.

Elle elle se prend pour Pénélope. Elle attend. Que ça change.
En attendant, elle démolit tout ce qu’elle a construit.

Finalement c’est elle qui prendra la mer.

(..)

Elle, elle pense que l’autre est une langue étrangère imprononçable, et que personne ne naît dans deux pays à la fois, même si les frontières sont très proches ou dans certains continents, abolies. Elle dit, on ne peut pas croire que deux êtres peuvent ne faire qu’une seule langue.
Qui donnera la sienne ?

Lui il n’est pas exigeant,

Il prend ce qui vient, il dit. Pas plus - Il dit. Pas comme elle - Il dit.

Elle, elle dit, il y a des morts et des morts-vivants.

Lui il dit : tu es triste, tu parles de choses tristes, tu es une fille triste.

Tu me tires vers le bas. Et il ajoute : Moi je ne suis pas malheureux.

Depuis cinq ans, il n’a pas changé.

Il dit Rien n’a changé. Je n’ai pas changé, il martèle.

Le temps passe mais il n’a pas changé.

C’est drôle. Ça.

De sembler en être soulagé... Elle pense.

Lui dit encore : Je ne suis pas malheureux. C’est ta tristesse qui me rend malheureux. Elle elle dit : Que sais-tu du malheur ?

Lui il dit, Qu’est-ce que tu veux - entendre ?
Elle, d’un coup de langue, elle ne veut plus rien entendre.

Elle dit des mots comme : au contraire, la marge, on a fusillé des handicapés pendant la guerre. Lui il tape du poing sur le volant : Dis pas ça ! Il la trouve vulgaire. Lui il sait ce l’on peut dire. Il est exemplaire, comme une forme de sagesse universelle.

 

Il est comme la mort, elle pense.

 (..)

Lui il dit je ne veux rien. Rien garder. Je te laisse tout. Maintenant qu’ils ne sont plus ensemble. Et il efface tout ce qu’il a mis sur la table. Avec sa main comme ça. Il l’efface. Elle, elle ne fait plus partie de rien ; que des vestiges dont on parle en disant, j’ai oublié. Il l’a désossée et l’a laissée là, éparpillée, comme un sac de course dans un jardin. Il laisse les photos, les lettres - les cadeaux qu’elle lui a faits.

- Nous apprendrons plus tard, néanmoins, qu’il mettra le canapé dans la voiture et emportera le tout -

Il ne lui parle plus. Il ne parlait pas de toute façon.

Il dit avec enthousiasme, je sais que tu chercheras n’importe quel prétexte pour continuer à me parler. Tu feras tout pour continuer à me parler. Elle comprend à présent qu’il connaît le malheur.

 

Et elle écrit son secret sur un papier qu’elle enfonce dans le mur.

 

Troisième pont :

(...)

Elle fait les comptes. Elle compte tout. A présent, tout compte.
L’amour rend comptable. A la fin.

Les mois qui restent
Les heures passées depuis

Les grands livres
Les pays traversés
Le nom des rues qu’elle aime

Les mots qui commencent...

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